Kelly Brownbill
Éducatrice, animatrice et consultante
https://kellybrownbill.com*
Wawaynaboozhoo. Wabunnoongakekwe ndishnikaaz, Waabizhashi Dodem.
Salutations. Je vous écris aujourd’hui du territoire traditionnel des Anishinaabeg, plus précisément de celui de la Confédération des Trois feux. J’aimerais honorer le fait que les premiers habitants de ces terres sacrées ont dû payer un prix élevé pour que j’aie aujourd’hui le privilège d’y travailler et d’y vivre.
Ce billet s’inscrit dans la suite du webinaire de la série Pleins feux qu’a animé Jennifer Zelmer de la Fondation canadienne pour l’amélioration des services de santé le 3 juin 2020, où Marion Crowe, directrice générale de l’Association des gestionnaires de santé des Premières Nations (AGSPN), et moi avons parlé de la sécurité culturelle en contexte de pandémie. Comme tous les participants s’entendaient pour dire que ces échanges étaient significatifs et devaient être approfondis, il semblait indiqué de poursuivre la réflexion ici.
Durant ce webinaire, Marion Crowe et moi avons parlé des conséquences des récents événements sur les communautés et les peuples des Premières Nations. Ma collègue a abordé les préoccupations des membres de l’association et les mesures prises pour y répondre. Son organisation s’est mobilisée pour fournir aux gestionnaires de santé œuvrant dans les communautés des Premières Nations des ressources remarquables pour faire face aux difficultés que chacun rencontre en ce moment. Elle a parlé des assemblées publiques organisées virtuellement toutes les semaines par l’AGSPN, où les participants peuvent échanger sur les différents problèmes rencontrés actuellement. L’AGSPN a préparé certaines ressources, notamment une liste d’entreprises tenues par des Autochtones et pouvant fournir de l’EPI, ainsi qu’un service d’aide* par courriel ou téléphone.
J’ai quant à moi parlé des effets que peut avoir l’éloignement physique sur une personne qui porte toujours les cicatrices d’un traumatisme historique. Si les masques, les files d’attente, la distance d’avec sa famille et la fermeture de réserves sont difficiles à supporter pour tout le monde, ces mesures sont encore plus pénibles pour ceux et celles chez qui elles évoquent directement un traumatisme personnel et collectif.
Je crois qu’il est par ailleurs important de nommer les difficultés que pose la prestation de soins aux Autochtones dans le système de santé établi hors des réserves. Même si nos excellents gestionnaires de santé fournissent des services exemplaires et sécuritaires sur le plan culturel, nos membres doivent quand même sortir des réserves pour obtenir certains services. À l’inverse, les services offerts sur les réserves ne sont pas accessibles à ceux qui n’y vivent pas. Comme peuple autochtone – quelle que soit la définition retenue –, nous sommes dépendants du système de santé pour répondre à nos besoins, aussi particuliers soient-ils. Comme si vous n’aviez pas d’autres choses à faire.
On ne parle pas ici d’une mince tâche : vous devez garder contact avec les communautés des Premières Nations voisines, puisque les besoins varient d’un groupe à l’autre. Vous devez établir des liens avec des groupes installés hors des réserves, par exemple les centres d’amitié, les associations de femmes autochtones et les regroupements métis, pour n’en nommer que quelques-uns. Vous avez des règles dictant que telle personne ne peut se rendre qu’à telle distance de chez elle, ce qui empêche la tenue de rencontres familiales non seulement importantes, mais fondamentales à la manière de vivre autochtone. Rappelons enfin que vous avez des ressources finies – particulièrement les ressources humaines.
Parions aussi que tous les membres de votre personnel ne sont pas au même stade sur le chemin de la compétence culturelle, voire que certains d’entre eux ne s’y sont pas encore engagés. Les récents événements ont jeté une lumière aveuglante sur la question du racisme, ravivant ainsi des tensions qui peuvent nuire à un apprentissage authentique. Mais que peut donc faire une personne bien intentionnée, intelligente et compatissante travaillant dans le système de santé? Je suis ravie que vous posiez la question.
D’abord, il faut commencer par commencer. Les participants du webinaire ont semblé bien aimer cette formulation. Peu importe l’agitation secouant notre monde, il est important de vous engager dès maintenant sur la voie de la compétence, de la sécurité et de l’humilité culturelles. Idéalement, vous pourriez suivre une formation offerte par une personne compétente qui ouvrira un dialogue sur ces questions. Ces formations vont bien au-delà du transfert de connaissances : elles induisent un changement de paradigme qui ne peut avoir lieu sans la tenue d’une conversation. Ce n’est que mon opinion, mais je vous invite à insister pour que la formation ne débute pas au moment des premiers contacts, car beaucoup d’informations seraient occultées. J’ajouterais qu’il est pour nous essentiel de faire comprendre que le système de pensionnats, aussi horrible soit-il, n’existait pas en vase clos. Assurez-vous que le matériel ne traite pas que des pensionnats, mais aussi, entre autres, de la rafle des années 1960, de la rafle du millénaire, de l’externat indien, du système de laissez-passer et du traitement réservé aux vétérans autochtones.
Ensuite, ne vous arrêtez pas. Je crois que pour être un allié, il faut continuellement s’efforcer de comprendre. Une seule formation sur la sécurité culturelle ne suffit pas. Il est bon de suivre autant de formations et de lire autant de livres que possible sur cette question. Il y a maintenant aussi beaucoup de films qui abordent ces notions, qui sont une source d’apprentissage, et qui sont signés par des auteurs, des réalisateurs et des producteurs autochtones.
Il vous faudra aussi soutenir votre personnel. Vous devez être en mesure de poser des questions et de trouver conseil. Toutes les grandes structures comme les hôpitaux devraient pouvoir compter sur un cercle de conseillers, un sage ou un conseiller culturel. Dans ce domaine, aucun employé ne devrait être laissé à lui-même, et je vous encourage fortement à jeter des ponts avec les communautés voisines.
Enfin, par-dessus tout, je vous invite à garder en tête que le monde n’est pas le même pour tout le monde. Les peuples autochtones du territoire que l’on appelle maintenant le Canada portent d’écrasants traumatismes historiques. Encore et encore et encore, nous sommes victimes de racisme et de politiques préjudiciables. Nous ne voulons pas qu’il en soit de même pour vous. Nous ne nous attendons pas à ce que vous compreniez ce que cela signifie que de vivre avec ces stigmates. En revanche, nous vous demandons de développer une conscience globale suffisamment aiguisée pour pouvoir écouter notre point de vue et nos besoins. Notre système de santé doit offrir à tous un accès équitable aux services, quels que soient les obstacles.
Je sais que, en tant que société unie, nous pouvons y arriver. Je crois que nous pouvons compter sur toutes les personnes attentionnées, compatissantes et intelligentes – qu’il s’agisse ou non d’Autochtones – qu’il faut pour y arriver. Pour créer un avenir digne d’être légué à nos enfants, trouvons un moyen de reconnaître le passé, et attelons-nous à la tâche dès aujourd’hui.
Toutes mes relations.
Ressources
* : en anglais seulement